Saint-Simon Henri (Comte de)

1760-1825
Temps cyclique et temps linéaire dans la conception de l'histoire de Saint-Simon

«Celui toutefois qui a été le propagateur le plus enthousiaste et probablement le plus influent du progressisme de Condorcet a été amené, quoique en termes assez vaguement définis, à réintroduire dans sa théorie de l'histoire une structure qui, à certains égards, s'apparente aux conceptions cycliques. Le comte de Saint-Simon s'est fait avec une conviction sans doute inégalée le héraut des promesses de bonheur que le futur réserverait à l'humanité grâce aux applications bénéfiques des sciences, non seulement celles bien connues des sciences physiques mais surtout celles des sciences humaines qui, à ses yeux, ne pouvaient manquer de s'imposer dans un proche avenir. Pour étayer ses idées à ce sujet, il faisait observer que la science serait bientôt en état d'exercer un rôle social décisif dans la mesure où un "corps scientifique" mieux organisé allait certes parvenir sous peu à se substituer au clergé religieux dans l'exercice d'un « pouvoir spirituel » capable d'équilibrer efficacement le « pouvoir temporel ». Quant à ce "pouvoir temporel", exercé jusque-là par le roi, ses ministres, la noblesse et les militaires, Saint-Simon ne tardera pas à trouver la façon de le confier lui aussi à de meilleures mains. Tout comme le pouvoir spirituel gagne à être exercé par les savants plutôt que par les prêtres, le pouvoir temporel gagnerait à être exercé par les véritables producteurs de la richesse, les industriels, dont Saint-Simon se fera l' apologète dans de nombreux écrits, passablement répétitifs, tout au long de sa carrière. Quoi qu'il en soit, ce qu'il importe de souligner ici, c'est que, aussi résolument tournée vers l'avenir qu'elle ait pu l'être, la pensée de Saint-Simon prenait volontiers appui sur l'expérience acquise dans le cadre de la chrétienté médiévale pour reconstituer à nouveaux frais un « nouveau système » structuré de façon analogue, mais appelé, grâce au progrès scientifique, à dépasser de loin son modèle, lequel se voyait, en quelque sorte, associé à un cycle inférieur de l'organisation sociale. En esquissant le plan d'une société nouvelle, société qu'il finira d'ailleurs par présenter comme un "nouveau christianisme" qui "aura sa morale, son culte et son dogme" de même que "son clergé" — Saint-Simon invitait littéralement l'humanité à reprendre à neuf, sur la base encore sous-exploitée qu'offrait la science moderne, la tâche consistant à mettre en place une structure sociale caractérisée à la fois par sa cohésion et par son efficacité

MAURICE LAGUEUX, Actualité de la philosophie de l'histoire, Presses de l'Université Lava, Québec, 2001. p.93



Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?