La santé mentale et les hôpitaux

Jacques Dufresne
(Scène du film Amadeus montrant le musicien Salieri dans un asile).

Jusqu'au début du XXe siècle, l'hôpital, avons-nous dit, était un refuge inhospitalier. Pour les malades mentaux, était-il seulement un refuge?

En voyant le film Amadeus, qui présente une vision romancée de la vie de Mozart et du musicien italien Salieri, beaucoup de gens ont été choqués par la façon dont les fous étaient traités à la fin du XVIIe siècle dans un grand pays comme l'Autriche. Cette scène était pourtant conforme à ce qu'on sait du sort fait aux malades mentaux à cette époque.

Voici un excellent tableau de la situation d'ensemble en Europe: "Le traitement des troubles neurologiques du corps - la folie - est sorti bien tardivement d'une longue ère de tâtonnements et de méconnaissance, avec l'avènement de la psychiatrie. Durant l'âge classique, la folie ne donne lieu qu'à des procédures d'enfermement de malades, censés avoir régressé vers la dégénérescence animale et pour lesquels tout soin devient inopérant. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir apparaître une médecine appropriée à ces cas pathologiques, abandonnés à la déchéance des cachots de relégation. Simultanément, dans plusieurs pays d'Europe, se dessine un mouvement de libération des fous. Parallèlement aux Quakers anglais, York Retreat ou Tuke, à Vincenzio Chiarugi en Italie, le médecin français Philippe Pinel commence en 1796 à élaborer une médecine mentale spécifique, fondée sur des pratiques humanisées et appuyée par une classification nosographique. Ainsi se constitue une discipline autonome décidée à mettre au service de la folie une clinique rationnelle, expliquant le désordre mental à partir d'un désordre organique. La nouvelle psychiatrie se règle en effet sur la médecine organique, les troubles psychologiques n'étant que l'expression de lésions physiologiques. La médecine de l'esprit va traiter la folie en identifiant l'ensemble des causes organiques et des dispositions héréditaires qui peuvent la rendre intelligible. L'idée de dégénérescence héréditaire connaît ainsi un grand succès après 1850 dans les théories de Morel, de Magnan ou de Lombroso.

Mais, comme l'a souligné M. Foucault, la médicalisation de la folie l'enchaîne à nouveau à une rationalité sociale réductrice, et projette sur le malade mental une idéologie de la réadaptation, de la coercition au moyen d'impératifs hygiénistes et moraux. "L'asile, successeur de la prison, devient un espace où le savoir positiviste fait triompher un ordre normatif unilatéral".

Nous en sommes aujourd'hui à l'étape de la désinstitutionnalisation, parce que les thèses de Michel Foucault ont eu quelque influence mais aussi parce qu'il en coûte très cher pour bien traiter un malade mental en institution. On sait déjà que, partout où elle a été tentée, la désinstitutionnalisation a été un échec partiel." (Jean-Jacques Wunenburger, Signund Freud, Paris, Balland, 1985).

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

L'art de la greffe... sur un milieu vivant
Suite de l’article La culpabilité de l’Occident ou la recherche de la vie perdue. Cette vie perdue comment la retrouver? Comme la greffe d’une plante sur une autre, la greffe d’un humain déraciné sur un milieu vivant est un art subtil in

Serge Mongeau
Le mot anglais activist conviendrait à Serge Mongeau. Sa pensée, parce qu’elle est simple sans doute, se transforme toujours en action, une action durable et cohérente. Les maîtres de sa jeunesse, René Dubos et Ivan Illich notamment l’ont mi

Une rétrovision du monde
C‘est dans les promesses d’égalité que Jean de Sincerre voit la première cause des maux qu’il diagnostique et auxquels on ne pourra remédier que lorsque les contemporains dominants, indissociablement démocrates, libéraux et consommateurs-

Éthique de la complexité
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'est ce qui a permis à Newton d'établir les lois simples et élegantes de l'attraction. Dans les sciences de la complexité d'aujourd'hui, on tient compte du néglig

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, littéralement un recyclage, auquel bien des jeunes voudront croire : la convivialité, une opération dont on sort gagnant sur plusieurs fronts : les rapports avec les humains, les out

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle à être calculée ou saisie au passage, contrôlée ou l’objet d’un lâcher-prise, ce thème qui palpite au coeur de la postmodernité ?

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques liés à la construction de nouvelles résidences pour aînés, nous vous invitons à découvrir un des architectes les plus originaux des dernières décennies, l'archi




Lettre de L'Agora - Printemps 2025